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n’est plus où le poignard armait les mains de la vertu. J’ai adouci ces mœurs barbares, j’ai civilisé le monde, je l’ai rendu aimable, fastueux, élégant, libéral, et séduisant comme moi ; je ne craindrai pas les ides de marse, je laisserai les conjurés baiser le bas de ma robe. À présent que je représente la patrie, ils n’oseraient me frapper.

Et eux, ils disaient : Que va donc faire César ? que peut-il vouloir encore ? N’a-t-il pas obtenu tout ce qu’il souhaitait ? Et pourtant il n’est pas rassasié, car le voilà qui couve de mystérieux projets et qui cherche plus que jamais à se faire aimer. Plus que jamais il nous élève et nous caresse, plus que jamais il fait grâce à ses anciens ennemis. Sans doute il veut perdre la république et nous réduire tous en esclavage, car on sait bien que tout ce que César a fait, il l’a fait pour lui-même. On sait bien qu’il n’aime que lui et ne travaille que pour lui, et quand il parle des hautes destinées de la patrie, on sait bien qu’il ne songe qu’au brillant destin de César.

Et ces hommes l’ont tué lâchement, croyant faire une action héroïque, racheter leur honneur et sauver la patrie ! Et la patrie a laissé tuer César sans comprendre qu’elle lui devait beaucoup, puisqu’elle avait voulu ce qu’il lui avait donné. La patrie est restée muette de terreur et de surprise, sentant bien qu’elle ne valait pas mieux que le césar de la veille, et ne pouvant pas deviner le césar du lendemain. Comment l’eût elle deviné ? Quand un homme d’intelligence s’est longtemps appliqué à détériorer les esprits par l’intrigue, il peut se relever et se purifier jusqu’à un certain point, lui que la nature avait doué d’une grande vitalité ; mais la foule ne peut le suivre, elle ne se