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pour le plaisir de se ménager et pour se reposer d’une situation d’esprit par une autre ; passant sa vie à vouloir être aimé, et à n’aimer personne, ne rêvant nullement d’avance la gloire et la prospérité de sa patrie, mais s’adonnant à cette plus noble tache, le jour où sa tâche personnelle est accomplie et son ambition de pouvoir satisfaite. Alors il n’a plus rien à désirer pour lui-même, il lève la tête, ses délicates narines se dilatent, sa bouche perfide et sensuelle frémit, son bel œil limpide se remplit de lumière, il regarde et embrasse l’horizon. Il est artiste en politique, il voit le beau côté de la puissance, et dans l’orgueil calme et profond d’un triomphe si longtemps attendu et cherché, il se dit enfin : Rome, c’est moi ! C’est alors qu’il se met à l’aimer, mais comme une maîtresse qu’on a eue pour esclave et dont le charme a triomphé de l’avilissement où on l’avait plongée.

À ce moment, César grandit, mais il ne se rachète pas. La grande ambition remplace la petite, mais il est trop tard. C’est juste à ce moment qu’on le redoute et le soupçonne. Poursuivant un but étroit et personnel, il séduisait les esprits ; on le laissait arriver dans l’espoir qu’il ferait de grandes choses. Il met la main à l’œuvre, il ne veut plus le pouvoir que pour rendre sa patrie orgueilleuse, triomphante et magnifique comme lui. Hélas ! c’est maintenant. César, qu’il faut mourir ! c’est maintenant que ton passé se dresse pour t’accuser et te perdre, c’est maintenant que ce qui reste de la vieille Rome de Caton se consulte, éperdu. Le désespoir est entré dans les âmes fières que tu as cru dompter en les souillant de tes bienfaits, et le patriotisme que tu as voulu dénaturer reprend ses errements sauvages et fanatiques. Tu te disais en vain : Le temps