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existence physique, trop longtemps comprimée par Sylla, voulait se manifester. Caton, fanatique, mourut en lui criant : « Tu n’as plus d’âme, donc tu n’es plus ! » César, athée, lui dit : « Laisse là ton âme, et vis avec tes appétits. »

Quand il s’agit de ces républiques du passé qui ne représentent rien du monde moderne, nous avouons que nous faisons assez bon marché d’un mot, fût-il vénérable. Un changement de forme ne nous préoccupe pas si le fond y gagne. Qu’un héros joignant l’énergie de César (monstrum activitatis) à l’austérité des Caton et au patriotisme des Gracques, eût mérité l’autorité d’une suprême dictature en ces temps difficiles, nous n’eussions pas défendu avec acharnement les ruines souillées du passé. Mais César est-il cet être divin qui mérite de s’emparer des destinées d’un peuple, lui qui commence par l’acheter, c’est-à-dire par flatter et développer le plus lâche de tous ses vices, la vénalité des consciences ? Là où Sylla venait de régner par la crainte, César règne par la corruption.

La véritable grandeur de Rome avait été de porter la civilisation avec la conquête sur toutes les rives de la Méditerranée et jusqu’aux limites du monde alors connu. Elle avait réellement alors initié les peuples aux idées du droit, telles qu’elles étaient admises en ce temps, dans ce meilleur des mondes possible. Par un patriotisme héroïque, elle était devenue le soleil des nations et nulle n’existait si Rome n’avait daigné la foudroyer de ses victoires et l’illuminer de son alliance. Mais l’orgueil et la vertu fondirent au contact du luxe oriental, et, au temps de César, on ne se battait que pour s’enrichir. César fit comme les autres, mais, plus grand seigneur et plus habile que le vulgaire des am-