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qui lui restent lui donnant encore droit à nos respects. N’en admet-il que deux ? il est encore un frère. N’en admet-il qu’un seul ? il est encore un homme ; car si l’on interprète avec grandeur et loyauté un seul des quatre termes ci-dessus, il implique nécessairement la meilleure part du sens des trois autres. Il n’y aurait et il n’y a aujourd’hui de vraiment funeste que ce que l’on veut entendre dans un sens exclusif : la religion repoussant la raison, par exemple.

Mais la raison sans la foi n’est-elle pas également exclusive ? Nous oserons dire non ; car la raison, c’est la morale, et la morale est encore une religion. Fille des civilisations auxquelles ont puissamment contribué les idées religieuses, elle est pour les hommes d’aujourd’hui comme le pain qu’ils mangent, sans savoir d’où leur vient le blé, car le blé primitif n’existe plus dans la nature, et les botanistes lui cherchent un aïeul type dans la famille des graminées, sans être bien d’accord jusqu’ici sur ses titres généalogiques. Le blé est-il donc une création de l’homme ? Non, ce n’est qu’une conquête. La nature est toujours le mystérieux artisan du monde primitif, perfectionné ensuite par la culture. C’est ainsi que la morale vient de la foi et qu’elle peut fleurir et fructifier sans que la foi ait à intervenir de nouveau, de même que le blé fleurit et fructifie sans que la nature ait besoin d’un nouveau procédé.

La morale est donc une religion transitoire, mais éternelle. Elle ne s’inquiète pas de ses origines, elle ne se tourmente de sa forme à venir ; elle apparaît dans le monde pour combler les lacunes que les croyances exclusives laissent entre elles, et elle a pris tant de force dans l’esprit humain qu’elle se pique parfois de tout remplacer.