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Or, comme toutes les conquêtes soudaines, celle-ci apporte des éléments très-divers, un peu confus, et dont la richesse échappe encore à des calculs bien positifs. Nous sommes, sous le rapport de la liberté d’initiative, dans l’âge d’or de cette conquête, et c’est là une liberté dont la limite n’est pas facile à poser. Jusqu’à nouvel ordre, le roman ne doit pas s’astreindre aux usages qui régissent le théâtre. Certainement un temps viendra où les lois de la composition seront plus rigidement tracées, et où le public plus critique sera plus exigeant. Mais, hélas ! gare à ce temps où la sobriété farouche rognera les ailes de la fantaisie et dira à l’artiste : Halte-là ! vous avez rempli le nombre de pages, occupé le nombre de minutes que la règle accorde à l’élan de votre passion et au développement de votre pensée. Eussiez-vous à nous dire encore de meilleures choses, nous ne lirons pas une ligne, nous ne permettrons pas un mot de plus.

En ce temps-là, nous aurons sans doute des romans très-bien faits, comme nous avons déjà des pièces de théâtre très-bien faites dans la mesure exacte de l’attention du spectateur. Mais aurons-nous beaucoup de beaux romans ? Avons-nous beaucoup de belles pièces de théâtre ? Aurons-nous des Balzac et des Hugo ? Avons-nous des Shakespeare et des Molière ?

La Nouvelle Héloïse est-elle un roman bien composé ? et Manon Lescaut ?… Mais laissons les exemples, nous n’en finirions pas. Tous les romans de Walter-Scott ont la tête trop grosse pour le corps, Wilhem Meister a des jambes qui ne finissent point. Permettons donc à tous les modernes de jouir du privilége que réclame une sève encore trop abondante et de parcourir un peu à l’aventure cet éden de jeunesse,