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ditation, plutôt qu’à l’accablement d’une femme tout à l’heure en démence.

Quelques hommes essayèrent de trancher la question en disant que mademoiselle Mars avait eu dans sa vie le véritable malheur d’être trop correctement belle, et de ne pouvoir jamais abjurer le caractère angélique de sa physionomie. Peut-être le masque musculaire manque-t-il chez elle de souplesse et de mobilité ; peut-être y a-t-il dans sa noble intelligence des formes trop arrêtées, un type de passion tracé sur des proportions trop systématiques, pas assez d’éclectisme et d’élasticité morale, s’il est permis de parler ainsi.

Madame Dorval, sans avoir étudié plus consciencieusement son art, a peut-être reçu du ciel des lumières plus vives ; son esprit est peut-être plus souple en même temps que sa taille et ses traits. Il y a en elle un plus sincère abandon de la théorie, une plus grande confiance dans l’inspiration, et cette confiance est justifiée par une soudaineté presque magique dans toutes les situations de ses rôles. Le principal caractère de son jeu, ce qui la place si en dehors de toute imitation et doit la maintenir désormais au premier rang sur la nouvelle scène française, c’est le jet inattendu et toujours brûlant de ses impressions. Jamais on ne devine le mot qu’elle va dire. Il n’y a pas dans l’action de ses muscles, dans le soulèvement de sa poitrine, dans la contraction de ses traits, un effort préparatoire qui révèle au spectateur la péripétie prochaine de son drame intérieur ; car madame Dorval compose son drame elle-même, elle s’en pénètre, et, obéissante à l’impulsion de son génie, elle se trouve tout à coup jetée hors d’elle-même, au delà de ce qu’elle avait prévu d’heureux, au delà de ce