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J’ai voulu y aller, moi, je ne me plains de rien. Je me suis embarqué de ma petite serre chaude dans le cerveau de l’auteur. C’est aussi facile que d’aller dans la lune avec le ballon de la fantaisie ; mais, en raison de cette grande facilité et de cette certitude d’arriver en un clin d’œil, je ne me suis pas mis en route sans faire mes réflexions et sans me préparer à de grands étonnements, à de grandes émotions peut-être. J’en ai eu pour mon argent, comme on dit, et maintenant, je pense comme tous ceux qui descendent les hautes cimes : je me dis que je ne voudrais pas retourner y finir mes jours, mais que je suis fort aise d’y avoir été.

C’était monstrueux, cette Babylone africaine, ce monde punique, atroce, ce grand Hamilcar, un scélérat, ce culte, ces temples, ces batailles, ces supplices, ces vengeances, ces festins, ces trahisons ; tout cela, poésie de cannibales, quelque chose comme l’enfer du Dante.

À propos, mon cher ami, vous avez fait ce voyage-là ? Qu’est-ce que vous en dites, de l’enfer du Dante ? Il paraît que la chose a quelque valeur et n’a pas manqué d’un certain succès dans son temps, puisque cela dure encore ? Le sujet n’est pas joli, cependant, et le poëte ne sacrifiait point aux Grâces. Dites-moi que c’est un paltoquet et n’en parlons plus. Je vous pardonnerai de proscrire Salammbô.

Moi, je ne sais pas si l’on ne peut pas comparer. La forme de Flaubert est aussi belle, aussi frappante, aussi concise, aussi grandiose dans sa prose française que n’importe quels beaux vers connus en quelque langue que ce soit. Son imagination est aussi féconde, sa peinture est aussi terrible que celle du Dante. Sa colère intérieure est aussi froide de parti