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l’influence de personne ; cela n’appartient à aucune école, quoi que vous en disiez. C’est marqué d’un cachet bien déterminé, et cela entre dans une manière qui est toute une personnalité d’une étonnante énergie. Je sens donc là une œuvre complétement originale, et là où elle me surprend et me choque, je ne me reconnais pas le droit de blâmer.

En effet, est-on bien autorisé à étourdir d’avertissements et de conseils un homme qui gravit une montagne inexplorée ? Toute œuvre originale est cette montagne-là. Elle n’a pas de chemin connu. L’audacieux qui s’y aventure cause un peu de stupeur aux timides, un peu de dépit aux habiles, un peu de colère aux ignorants. Ce sont ces derniers qui blâment le plus toutes les hardiesses. Qu’allait-il faire sur cette montagne ? Qui l’y obligeait ? Qu’en rapportera-t-il ? À quoi bon gravir les cimes quand il y a plus bas de la place pour tout le monde, et des chemins de plaine si carrossables ?

Mais quelques-uns pourtant, parmi ces ignorants, aiment ces sommets, et, quand ils n’y peuvent aller, ils aiment ceux qui en reviennent. Je suis de ceux-là, moi. Je n’ai pas gravi l’Himalaya, mais j’ai vu sa tête dans mes rêves, et, loin de blâmer ceux qui l’ont touchée, j’écouterais leurs récits jusqu’à demain matin.

L’Himalaya, ici, c’était quelque chose d’évanoui et de conjectural. Carthage au temps d’Hamilcar ; Carthage, dont on sait à peine l’emplacement aujourd’hui, il fallait la faire revivre jusqu’à la réalité du roman historique ! C’est donc une relation de ce voyage dans le passé qui m’arrive, à moi tranquillement assis dans une petite serre chaude, et cela arrive sous le nom fantastique de Salammbô. Oui-da ! un nom carthagi-