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nières d’être belle et passionnée ! il y a de la passion si chaste, si comprimée, si noble ! Il y a de la passion si envahissante, si soudaine, si profonde î Voyez-vous, mesdames, il ne faut pas laisser voir toutes vos larmes quand vous êtes au théâtre avec votre mari ou avec un autre homme encore. Mais vous me direz que je me môle de ce qui ne me regarde pas. Je répondrai en vous disant que je retarde le plus possible à vous dire tout ce que j’ai entendu depuis l’orchestre jusqu’au balcon, les loges inclusivement. C’est (pie je n’aime pas à faire l’autopsie de mon cerveau, pour savoir la raison de mes plaisirs. Je suis heureux quand je puis dire devant mademoiselle Mars : « C’est beau ! » heureux encore quand, oppressé par le jeu plus vigoureux et plus hardi de madame Dorval, je ne me sens la force de rien dire. Mais pourquoi tout cela est si beau, je ne saurais le dire ni pendant ni après, si l’opinion du public ne me formulait mes sensations.

Voici ce que disaient les uns : « Mademoiselle Mars est plus correcte ; elle a un genre de grâce plus étudiée, plus coquette. Comme elle se donne plus de peine pour plaire, il faut bien qu’on lui en tienne compte. »

« Mais, disaient les autres, Jeanne Vaubernier, insouciante, évaporée, enfant sans soucis, prête à toutes les folies pourvu qu’elles ne lui coûtent pas de peine et ne lui apportent pas un pli au front, cette fille si folle et si jeune, ne l’avez-vous pas vue ? C’est le seul rôle où madame Dorval puisse déployer cette faculté qu’elle possède d’imposer le rire aussi bien que les larmes, et qu’on ne lui connaissait pas avant qu’elle eût rendu à la scène le personnage tant défiguré de