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un débutant de ce monde-là, qui laisserait placer son éloge personnel et le compte-rendu de son existence en tête de son ouvrage, ferait rire et non sans raison.

Mais les choses prennent un autre sens et produisent un autre effet en se déplaçant. Les usages du peuple sont à la fois plus naïfs et plus sérieux que ceux de la bourgeoisie. Le peuple a peu de temps à perdre, et il ne veut pas se livrer à un inconnu. Il a quelque méfiance de cette chose excellente et funeste, attrayante et trompeuse, un livre ! Il faut donc lui présenter l’auteur, lui servir de parrain en quelque sorte, et pouvoir dire : « Lisez-le, il est moral ; il est honnête et sincère. Il écrit comme il pense, et il pense ce qu il écrit. »

Cet usage a quelque chose de patriarcal dans son principe, et nous nous y conformerons de bon cœur, frères et amis, en vous racontant la vie de Gilland. Il me l’a racontée lui-même dans cette manière simple, qui est la meilleure de toutes, et c’est pourquoi je vous transcrirai ses propres paroles.

« Je suis né (Gilland, Jérôme Pierre) le 18 août 1815, à Sainte-Aulde, petite commune du département de Seine-et-Marne. Mes aïeux furent tous bergers de père en fils. Je suis le premier de la famille qui ait rompu la tradition, non que le métier me déplût en lui-même, au contraire : encore enfant, j’en aimais l’austérité, l’isolement et la poésie, que je comprenais fort bien. Mais il s’attachait à cette condition de mes parents une servitude, qui dégénérait peu à peu en véritable esclavage ; et si jeune que je fusse, la dégradation humaine m’a toujours fait horreur. Vous trouverez presque tous les dé-