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jourd’hui et qu’il a fallu conquérir au prix d’un engouement exagéré pour le romantisme et d’une réaction exagérée contre le romantisme depuis vingt ans ; un ton comique très-chaud et ne franchissant jamais la limite du goût, un ton pathétique très-tendre ou très-passionné qui ne tombe jamais dans le niais ou qui ne s’égare jamais dans le faux et le forcé, voilà les qualités de style qui, au bout de dix vers, saisissent et rassurent dans la manière de M. Augier. L’action est simple et sage, grand mérite à nos yeux. Elle se pose naïvement comme une comédie de Molière, et se comprend tout d’abord : autre mérite bien vieux et redevenu bien nouveau ! C’est un tableau d’intérieur, une famille troublée par un de ces malheurs que tout le monde a vus, que tout le monde peut apprécier. Les types sont connus, parce qu’ils sont vrais et de tous les temps.

Peu à peu l’action se développe sans se compliquer et l’intérêt n’a pas besoin, pour grandir, de recruter des figures inattendues ou d’accumuler des incidents invraisemblables. Cette action suit le principe qui nous a toujours paru le seul vrai, le seul utile dans l’art dramatique ; c’est-à-dire que la progression de l’intérêt ne naît pas d’une suite de changements dans la situation antérieure des personnages, mais d’une suite de modifications dans leurs idées, dans leur affections, dans leur être moral en un mot. On s’attache d’autant plus à leurs passions qu’on est moins distrait par leurs aventures, et le spectateur aime à se demander naïvement à la fin de chaque acte ce qu’ils vont penser et ce qu’ils vont résoudre. Il y a là un imprévu et une surprise beaucoup plus saisissants que l’attente de ces suris.