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ne détache poliment et avec des façons de cour.

Le poëme est bouffon, le rôle cavalier et les situations scabreuses. Il sauve tout ce qui pourrait révolter la pudeur de son auditoire par sa manière exquise et sa dignité charmante, et je dis : son auditoire, bien qu’il soit lui, un personnage muet. Mais on l’écoute pourtant, on croit qu’il parle, on pourrait écrire tous les bons mots de son rôle, toutes ses réparties caustiques, toutes ses formules de conciliation éloquentes et persuasives. Quand les machinistes et les comparses s’agitent derrière le théâtre, le public, qui craint de perdre un mot du rôle de Pierrot, s’écrie avec indignation : Silence dans la coulisse ! Et Pierrot qui est dans un rapport continuel et intime avec son public, le remercie par un de ces regards affectueux et nobles qui disent tant de choses !

Très-sérieusement Deburau est dans son genre un artiste parfait, un de ces talents accomplis et surs, qui se possèdent et se contiennent, qui ne négligent et n’outrepassent aucun effet. À combien de tragédiens ampoulés et braillards ne faudrait-il pas conseiller d’aller étudier le goût, la mesure et la précision chez ce Pierrot enfariné ! Pour les artistes en tous genres, la sobriété d’effets et la justesse d’intention, c’est l’idéal, c’est l’apogée. Talma et Rachel sont des modèles dans leur sphère… et Deburau aussi dans la sienne, n’en déplaise à ceux qui se croient placés plus haut parce qu’ils estropient des rôles plus sérieux sur de plus vastes théâtres.

Hier, le théâtre des Funambules avait monté un superbe spectacle pour le bénéfice de Deburau. Parmi les décors, une fontaine lançait une masse d’eau limpide et jaillissante, un véritable lavoir champêtre d’un