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quel la farce a dû chez nous cette prolongation d’existence.

Mais ce bruit est-il fondé, et l’éclipse de Pierrot est-elle croyable ? N’est-ce pas là une de ces prédictions sinistres comme il en a tant couru sur la fin du monde ?

Espérons encore que, quel que soit l’arrêt porté par le destin contre le théâtre des Funambules, la scène parisienne ne laissera pas disparaître le dernier des Pierrots au point de vue de l’histoire, le premier des Pierrots au point de vue de l’art et du talent.

Je ne saurais, malgré ma bonne volonté, vous raconter la véritable histoire de Deburau. Jules Janin lui en a inventé une fort spirituelle, mais l’illustre Pierrot m’a dit lui-même que c’était pure invention. Deburau est un homme réservé, doux, poli, sérieux, sobre, modeste, rempli de tact et de bons sens ; voilà ce que je puis vous affirmer, ayant eu le plaisir de causer une fois avec lui.

Quelques journaux ont publié en France et même à l’étranger qu’il avait mystifié en ma présence un grand seigneur crédule… Il n’en est rien. Le grand seigneur était de mes amis, et on ne laisse pas mystifier ses amis. Deburau est homme de bonne compagnie autant qu’un grand seigneur, et ne se fût pas prêté à une scène ridicule et méchante. Enfin, la vérité est que cette anecdote n’a pas même un fond de vraisemblance, le grand seigneur et le grand artiste ne s’étant jamais rencontrés nulle part que je sache.

J’ai dit le grand artiste et ne m’en dédis point. On peut être un maître dans la farce comme dans la tragédie, et il n’y a pas d’emploi dans les arts que le goût et l’intelligence individuels ne puissent élever au pre-