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Beuve. Il n’est point, lui, un de ces esprits frivoles et superbes qui se raillent avec plaisir des douloureuses et sincères aspirations. Il est lui-même un douteur, sincère et mélancolique, et nous ne le flétrirons pas du nom de sceptique. Le sceptique par nature est froid et dédaigneux. Il ne peut pas croire parce qu’il ne peut pas aimer, parce qu’il ne peut pas comprendre. Il est vain et borné ; mais il est d’autres natures élevées et tendres qui arrivent à la négation par la souffrance, au dégoût par la facilité, à l’enthousiasme, à la fatigue par l’excès du travail et de la réflexion. Leur incertitude est une maladie dont ils peuvent guérir un jour, puisqu’ils ont eu la foi ; et s’ils n’en guérissaient pas, on devrait les respecter encore et les regarder comme une sorte de martyrs de la pensée. M. Sainte-Beuve tient à ce type-là, et si sa chagrine gaîté prend parfois le ton de l’autre, ceux qui le connaissent, au lieu de rire de sa malice, le plaignent de ce qu’il lui a fallu souffrir dans le secret de ses rêveries pour avoir tant d’esprit à propos de choses si sérieuses et si tristes.

Les esprits forts de notre temps aiment à répéter fièrement le que sais-je ? de Montaigne. Je ne crois pas que Montaigne eut cette fierté-là quand il l’écrivit.

La sécurité du triomphe de Victor Hugo sur les résistances de l’Académie, et la sérénité de son front, nous laissent moins de scrupule, et nous ne craindrons pas de réveiller en lui le moindre regret en parlant de ses opinions présentes. M. Victor Hugo n’est ni un sceptique par impuissance, ni un sceptique par déception ; ce n’est même pas un sceptique du tout, puisqu’il croit à la puissance de la phrase, à la régénération sociale par la métaphore, et à l’avenir