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entendre surtout sa manière naturelle, son ton de causerie, accentué sans déclamation et animé sans emphase, un laisser aller modeste et de bon goût, qui sauvait ce que son style a parfois d’obscur à force d’être délié. Ce style, plein d’idées et de nuances délicates, a pourtant un défaut très-rare, indice d’un esprit qui approfondit peut-être trop son sujet et d’un doute intérieur consciencieux, mais excessif. Nous voulons dire le défaut de laisser du vague dans la pensée et de souffrir diverses interprétations de la même sentence. Tout l’éloge bibliographique de Casimir Delavigne a été charmant. On ne pouvait rendre plus aimable et plus touchante la jeunesse de ce caractère de poëte exclusivement poëte, incapable de faire des chiffres, se trompant de 9,000 francs sur le prix d’un cheval et répondant avec naïveté aux observations : Ce devait être un bien beau cheval ! En accusant le peu d’aptitude du poëte à se mêler aux travaux de l’Académie, et s’engageant à le remplacer, sur ce point seulement, sans trop de désavantage, M. Sainte-Beuve a communiqué à l’auditoire un rire de sympathique et malicieuse bonhomie.

Le récipiendaire touchait, en parlant de la première manière de Casimir Delavigne à une question jadis brûlante, aujourd’hui bien refroidie, la querelle des classiques et des romantiques. Il a sauvé avec une rare habileté tout ce que l’appréciation impartiale eût pu réveiller de ressentiments assoupis. Il y avait pourtant un courage caché sous quelques réflexions personnelles qui méritent d’être citées :

« Nous autres critiques qui, à défaut d’ouvrages, nous faisons souvent des questions (car c’est notre devoir comme aussi notre plaisir), nous nous deman-