Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/206

Cette page n’a pas encore été corrigée

donné l’être, a-t-il donc enfermé dans ton sein et comme attaché à ton nom ?

Création sublime, n’est-ce donc pas que tu résumes en toi toutes les souffrances d’une âme pure jetée au milieu de la corruption et condamnée à lutter contre le mal qui l’étreint et la brise ? Il n’y a pas d’autre fatalité dans ta vie, Hamlet, et ton délire n’a pas d’autre cause. Jeune, tendre et confiant, l’âme ouverte à l’amour et à l’amitié, la découverte du crime commis dans ta maison vient bouleverser toutes les affections, toutes tes croyances. Tu pleurais un mort chéri, et tu t’étonnais de le pleurer seul. Un vague soupçon planait à peine sur ton esprit : tout à coup ce soupçon devient certitude ; une vision déchirante, un songe peut-être, t’a éclairé, et dès lors, frappé de vertige, tu sens ta raison ébranlée, et ta vie n’est plus qu’un accès de délire amer et sombre. Car tu es fou, Hamlet, et tu ne mens pas quand tu dis :

His madness is poor Hamlet’s ennemy.


On ne se joue pas impunément avec la folie, et, d’ailleurs, le choix de ton rôle de fou atteste que tu es dominé par la préoccupation, l’angoisse et la terreur de la démence. Tu ne feins pas à la manière de Brutus, car tu n’es pas l’austère Brutus. Amoureux et poëte, rêveur tendre et studieux écolier, tu n’as rien de celle nature implacable et patiente du conspirateur. Pauvre Hamlet, ton âme est trop fière et trop aimante pour supporter la douleur et couver la vengeance. Te voilà forcé de haïr les hommes, toi qui naquis pour les aimer, et dès ce premier choc te voilà