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la Providence délie ainsi tout à coup les langues condamnées jusqu’ici à bégayer la poésie. Elle avait donné toujours cette faveur, comme la récompense des studieuses éducations, à des natures rêveuses, délicates, vouées à l’oisiveté du corps, aux patients labeurs de l’esprit. Il semblait que le poëte dût être une âme essentiellement contemplative, qu’il dût avoir au moins, à ses heures d’inspiration, une existence errante et solitaire, qu’il eût besoin de recueillement et de silence pour fixer les images délicates et fugitives de ses magiques tableaux. Et voilà que des hommes cloués à un travail abrutissant, des hommes de peine, comme on les appelle, de robustes ouvriers à la main de fer, à la voix tonnante, se mettent à rêver au bruit de l’enclume et du marteau, au cri de la scie et du métier, dans le tumulte du chantier ou dans l’air fétide de l’échoppe, des chants purs et suaves, des formes exquises, des sentiments sublimes ! Oh ! qu’ils durent en être étonnés, ceux qui ne comprennent pas la dignité de l’homme et les desseins de Dieu sur le peuple ! et que nous devons en être reconnaissant, nous qui attendions avec impatience cette conséquence de la logique divine, cette manifestation prophétique de la virilité populaire ! Nous ne savons rien encore des combinaisons politiques qui vont amener l’affranchissement des prolétaires ; mais nous savons déjà quels droits divins le peuple saura bientôt faire valoir pour être affranchi. Et nous faisons mieux que de le savoir, nous le sentons. L’air autour de nous est embrasé de cette vérité, comme de l’approche d’un soleil nouveau ; elle nous embrase nous-mêmes. Elle nous embraserait tous, si, parmi nous, quelques-uns n’étaient tombés en paralysie, si