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inaperçu dans la poussière des chemins. Il lui fallut, à la vérité, des siècles pour se produire au jour ; mais vous savez bien que la loi des temps n’a pas une marche régulière. À certaines époques de la vie des nations, un siècle est parcouru dans une heure ; et quand l’humanité a péniblement accompli son œuvre préparatoire, elle se précipite, et fait son étape en moins de temps qu’il ne lui en a fallu pour se lever et se mettre en marche.

Voyez, poëtes plébéiens, chantres prophétiques des villes et des campagnes, quel mystère s’est accompli en vous-mêmes depuis si peu de jours que l’inspiration s’est révélée à vous ! Qui vous a faits ce que vous êtes, vous qui avez à peine appris à lire, et que rien ne destinait aux émotions de la pensée ? Quel Dieu vous a soufflé le don de rendre vos sentiments et vos idées dans cette langue épurée que vos pères ne comprenaient pas, et que nul ne vous a enseignée ? Quelques semaines, quelques mois tout au plus, sur les bancs d’une école élémentaire, ont suffi pour vous faire deviner cet art poétique, ces richesses du langage, ces combinaisons recherchées de la pensée, ces jeux de l’imagination qui constituent le talent d’écrire et que dans les classes lettrées on apprend si longuement, si péniblement. N’y a-t-il pas là une sorte de miracle que vous-mêmes ne sauriez pas nous expliquer ? Cette subite préoccupation des choses les plus élevées, et ce don de les exprimer sous la forme la plus exquise, accordés simultanément à un nombre chaque jour croissant de prolétaires voués aux plus humbles professions manuelles, n’est-ce pas un des signes précurseurs de quelque grande révolution dans l’esprit humain ? Non, ce n’est pas sans dessein que