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faire grand bruit, à travers la cohue élégante des livres nouveaux ; et les in-octavo satinés de la quinzaine, qui virent le jour en cette compagnie, ne se fermèrent pas d’horreur au contact de ces muses un peu viriles, un peu filles de Rébecca. On n’osa pas trop les regarder en face, le beau monde n’en parla guère, et le peuple seul s’émut de cet événement littéraire.

Cependant l’esprit conservateur était si peu sûr de lui-même en cette circonstance, si peu fixé sur le rôle délicat et scabreux qu’il avait à jouer avec l’invasion, qu’on vit presque à la même époque la Revue des Deux Mondes, qui avait fort dénigré la phalange des poètes prolétaires, publier un article fort bien fait et fort élogieux sur le poëte Jasmin. Plus tard. Jasmin fut admis à l’honneur de réciter ses vers devant la famille royale, et il en reçut de grands compliments et de petits cadeaux. D’un autre côté, Magu recevait du ministère une rente de deux cents francs, et le ministre de l’Instruction publique faisait parvenir une petite bibliothèque à Poncy le maçon. Sa Majesté Louis-Philippe daignait saluer Durand, le menuisier de Fontainebleau, lorsqu’elle passait devant sa boutique. Enfin on voulait bien donner du pain et des éloges aux poètes plébéiens, mais on voulait que leur gloire ne prît pas son vol trop loin du clocher natal ; on ne voulait pas que la presse indépendante se mêlât de les signaler à la bienveillance d’un public plus étendu. On désirait surtout, on espérait peut-être, en leur distribuant quelques aumônes et quelques flatteries, qu’ils ne s’aviseraient pas de chanter la liberté et la fraternité. Ces bons poëtes naïfs et probes ne se mêlaient point de politique ; ils continuèrent à chanter le peuple, à demander pour lui, avec plus ou moins de