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avec l’attention qu’ils méritent. Ce fut une véritable explosion du génie poétique de la France prolétaire ; et ces natures d’exception, dont maître Adam avait été le chef et le père en d’autres temps, devinrent si nombreuses, que force fut de s’écrier : « Le Parnasse est envahi ! les illettrés en ont forcé la porte ; et cet audacieux peuple, qui ne songeait naguère qu’à raser châteaux et bastilles, vient maintenant bâtir des temples aux Muses sur le sol fécondé de son sang et de ses sueurs. »

Que le peuple fût poëte, nul n’en doutait de bonne foi ; tous les grands artistes étaient sortis de son sein ; et, pour être grand artiste, il faut bien avoir de la grande poésie dans l’âme. Peintres et sculpteurs, musiciens et virtuoses, avaient été produits par centaines, et dans tous les siècles, par cette race puissante, foyer inépuisable de génie, de force et de jeunesse morale. Mais les professions manuelles, conduisant naturellement au développement du génie spécial dont ces professions sont le point de départ, le peuple n’avait guère produit que des artistes, mot presque synonyme autrefois de celui d’artisan. Le domaine de la littérature, le roman, la versification, l’histoire, étaient restés aux mains des classes nobles, riches, érudites. Le peuple avait ses chants et ses légendes, empreints souvent d’une génie poétique incontestable, mais enveloppés de formes si barbares, que le bel esprit des hautes classes s’en détournait avec mépris, et ne daignait pas y voir l’étincelle jaillissant du caillou. La forme épurée, la connaissance exquise de la langue, l’usage facile des règles delà versification, semblaient généralement inaccessibles à cette race qui ne savait pas lire, écrire encore moins.