Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/150

Cette page n’a pas encore été corrigée

pensez qu’une seconde ou une troisième lecture de Shakespeare, de Pétrarque, et même de votre maître Adam, eût éclairé Voltaire, et l’eût fait repentir de ses impétueuses préventions. Je n’en ai jamais douté quant à Shakespeare, je n’en peux guère douter non plus quant à Pétrarque ; mais quant à votre menuisier, fabricant de tables et de concetti, j’oserai croire, jusqu’à plus ample informé, que Voltaire eût confirmé son premier jugement.

M. Z. — Il est possible que Voltaire l’eût fait. Il ne lui suffisait pas toujours de revenir à la bonne foi et à l’examen sérieux pour être compétent. Voltaire, quoiqu’il fît d’excellentes et de charmantes poésies, n’était pas poète dans la haute acception du mot. Son imagination était tournée vers la raillerie, son enthousiasme vers la lutte polémique. Pour être un poète, il faut une extrême naïveté de cœur, qui n’était pas le fond de l’âme de Voltaire, et qui eût été fort contraire à la puissance de son œuvre critique sur le siècle. Il faisait de beaux vers et d’admirables satires, des drames habilement conçus, écrits avec élégance ; mais le feu sacré de Shakespeare, mais la passion de Pétrarque, il ne pouvait les ravir au ciel qui ne l’avait pas destiné à comprendre et à agir hors d’une certaine limite de sentiment. Esprit analytique par excellence, il pouvait revenir sur ses erreurs d’analyse, et la Fontaine devait subir victorieusement une analyse approfondie. Shakespeare, avec le mauvais goût de son temps et la rudesse de son pays, son emphase de bonne foi, tantôt ridicule, et tantôt saisissante ; Shakespeare, boursouflé, cynique et sublime, ne se fût peut-être pas révélé en entier à Voltaire, quand même Voltaire l’aurait voulu. Ici pourtant je me sors de votre peut-être, pour