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comme ils sentent ; qu’ils ne se préoccupent pas de la manière de tel ou tel modèle classique ou romantique ; qu’ils ne cherchent pas leurs épithètes dans les vocabulaires trop savants de nos beaux esprits ; qu’ils soient moins rêveurs, moins contemplatifs ; qu’ils ne se laissent pas aller au spleen littéraire, maladie de l’oisiveté, plaie des gens inutiles. La vie de l’ouvrier est une vie d’action, de force et de simplicité. Que sa parole soit donc forte, simple, et que son mouvement, au lieu de m’alanguir en rappelant tout ce que je connais, me ranime, me transporte, m’attendrisse, et me communique cette vigueur qui n’appartient qu’aux races jeunes en civilisation. Qu’il se plaigne, je le veux bien ; mais qu’il tourne cette plainte d’une certaine manière qui attire mes yeux et mon cœur vers lui. Si l’homme du peuple se présente à la barre d’une Convention nationale pour demander du pain, qu’on l’écoute, de quelque façon qu’il s’exprime. Mais s’il se présente en chantant, je veux que son chant soit autre chose qu’un orgue de Barbarie, répétant sans âme et sans expression les fragments d’une belle musique pillée à quelque opéra nouveau ; car je ne suis pas forcé d’admirer la forme mauvaise donnée à une belle pensée, et, qui pis est, à la pensée d’autrui. Enfin, pour ne pas sortir des métaphores, je veux que le prolétaire ait un habit propre, commode, et même bien coupé ; mais s’il s’arrange en lion de Tortoni, et qu’il vienne me parler de réforme sociale avec une chevelure ridiculement étalée et une rose sous la barbe, rien ne pourra m’empêcher de dire qu’il sacrifie le genre de beauté qui lui était propre à une beauté d’emprunt qui ne lui sied pas du tout. Je veux voir l’homme à travers son œuvre, afin de croire d’abord à l’existence