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sont des ouvriers-poëtes, et non des portes-ouvriers. Ouvrier ne peut pas être pris comme un adjectif servant à qualifier une certaine poésie différente de celle qui se fait dans toutes les classes de la société. M’entendez-vous maintenant ?

M. Z. — Votre objection a de la profondeur, et je m’y rends. Vous voudriez que la poésie de ces ouvriers eût un cachet particulier ; qu’elle nous révélât des ressources ignorées jusqu’ici ; que ses licences fussent des règles nouvelles, créées par un sentiment poétique nouveau ; qu’enfin la vie du prolétaire, sa vie intellectuelle, morale et matérielle, se révélât sous ces différents aspects par une expression fidèle et sentie de ce que cette vie est en réalité.

M. A. — Vous commencez à me comprendre. Entendons-nous tout à fait. Je n’aime ni le néologisme, ni les vers sans rhythme, ou les incorrections grossières ; je neveux ni d’une ignorance épaisse, ni d’un caprice insensé dans la manière de traiter la langue, bien que, comme je vous le disais tout à l’heure, j’aime les chansons de compagnons avec leurs beautés et leurs défauts. Elles me plaisent, comme le bégaiement naïf et souvent énergique de l’enfance ; mais je n’admire ceci qu’en passant, et veux que l’enfance devienne virilité. Je veux donc qu’à l’avenir tout Français sache le français le mieux qu’il pourra, et je sais bien qu’à cet égard-là les prolétaires sont en progrès sensible. Mais je veux que ces hommes, qui ont certainement, à beaucoup d’égards, un autre sentiment de la vie que moi, sentiment moins raffiné peut-être, mais plus mâle ; moins étudié, moins raisonné, mais plus austère, plus large, et plus audacieux. Je veux, dis-je, qu’ils écrivent