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lin, un sceptique et un railleur ; mais c’est un grand philosophe.

— J’ai eu bien du mal depuis que nous ne nous sommes vus, me dit-il. Je ne sais pas si vous vous souvenez que j’étais marié. J’ai perdu ma femme. J’étais un peu meunier et un peu ouvrier. Mais, seul du village où vous avez laissé hier votre voiture, je n’ai que mon corps et ma maison. Dans nos petits bourgs, tout le monde est propriétaire, et il n’y a point de malheureux. Moi, j’ai bien un roc… À propos, le voulez-vous, mon roc ? Vous savez, vous disiez dans le temps que vous voudriez avoir un coin sur la Creuse ? Je ne vous vends pas le mien ; je vous le donne. Il n’y pousse que de la fougère, et je n’ai pas de quoi y nourrir un mouton. Je paye cinq sous d’imposition pour ce rocher, et voilà tout ce que j’en retire. Dame, il est grand, vous auriez de quoi y bâtir une belle maison, en dépensant d’abord une dizaine de mille francs pour tailler la roche et faire l’emplacement. Allons, vous n’en voulez pas ? Vous avez raison. Je n’en veux pas non plus. Aussi il reste là bien tranquille. Y va qui veut… c’est-à-dire qui peut !