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seur et de flâneur dans la campagne, il n’y avait pas pour lui de visage inconnu à plusieurs lieues à la ronde. Voici comme il me raconta lui-même ses impressions en face de cette laveuse singulièrement vigilante :

— Je ne pensai à la tradition des lavandières de nuit que lorsque je l’eus perdue de vue. Je n’y pensais pas avant de la rencontrer, je n’y croyais pas, et je n’éprouvais aucune méfiance en l’abordant. Mais, dès que je fus auprès d’elle, son silence, son indifférence à l’approche d’un passant, lui donnèrent l’aspect d’un être absolument étranger à notre espèce. Si la vieillesse la privait de l’ouïe et de la vue, comment était-elle assez robuste pour être venue de loin, toute seule, laver, à cette heure insolite, à cette source glacée où elle travaillait avec tant de force et d’activité ? Cela était au moins digne de remarque. Mais ce qui m’étonna encore plus, c’est ce que j’éprouvai en moi-même : je n’eus aucun sentiment de peur, mais une répugnance, un dégoût invincible. Je passai mon chemin sans qu’elle tournât la tête. Ce ne fut qu’en arrivant chez moi que