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changé que moi ; la vie a suivi autour de moi son cours inévitable, le fleuve qui mène à la mort. Il n’y a d’étrange en ma destinée que moi resté debout. Pourquoi faire ? pour chanter, cigale humaine, l’hiver comme l’été !

Chanter ! quoi donc chanter ? La bise et la brume, les feuilles qui tombent, le vent qui pleure ? J’avais une voix heureuse qui murmurait dans mon cerveau des paroles de renouvellement et de confiance. Elle s’est tue ; reviendra-t-elle ? et, si elle revient, l’entendrai-je ? est-ce bientôt, est-ce demain, est-ce dans un siècle ou dans une heure qu’elle reviendra ?

Nul ne sait ce qui lui sera donné de douceur ou de force pour fléchir les mauvais jours. Au fort de la bataille, tous sont braves : c’est si beau, le courage ! « Ayez-en, vous dit-on ; tous en ont, il faut en avoir. » Et on répond : « J’en ai ! » Oui, on en a, quand on vient d’être frappé et qu’il faut sourire pour laisser croire que la blessure n’est pas trop profonde. Mais après ? quand le devoir est accompli, quand on a pressé les mains amies, quand on a dissipé les tendres inquiétudes, quand on reprend sa route sur le sol ébranlé, quand on s’est remis au travail, au métier, au devoir ; quand tout est