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l’aquilon, elle fuit devant la rivière qui déborde, elle avertit Henriette de tous les dangers qui la menacent, elle la préserve, elle la pelotonne sous son bras, enfin elle combat la tempête avec elle, et, toute souriante et palpitante, m’apporte son enfant, qu’il me faut essuyer, réchauffer et caresser comme un Moïse sauvé des eaux. Cette comparaison, qui ne peut pas être dans son esprit, perce aussitôt dans le mien.

La dualité de l’âme éclate dans cette puissance qu’un enfant de trente mois possède déjà de dédoubler dans son esprit la réalité et le simulacre ; mais voici un autre phénomène. J’étais en train d’écrire ; l’action scénique m’intéresse, je l’observe, j’y prends part. Je joue mon rôle dans le drame qu’elle improvise, et, entre chacune des répliques que nous échangeons, ma plume reprend sa course sur le papier, l’idée que j’exprimais se retrouve dans la case de mon cerveau où je l’ai priée d’attendre, mon être intellectuel a suivi l’opération que l’enfant a su faire, il s’est dédoublé ; il y a en moi deux acteurs, l’un qui écrit sa pensée méditée, l’autre qui représente la fille des pharaons arrachant aux flots du Nil le berceau d’un pauvre enfant