Page:Sand - Nouvelles Lettres d un voyageur.djvu/136

Cette page n’a pas encore été corrigée

M. Turette, qui voudrais bien emporter cet horizon de flots et de neiges pour encadrer mon jardin de Nohant !

Mais bien vite cette ambitieuse aspiration m’effraya. Je suis un trop petit être pour vivre dans cette grandeur ; j’y suis trop sensible, je me donne trop à ce qui me dépasse dans un sens quelconque, et, quand je veux me reprendre après m’être abjuré ainsi, je ne me retrouve pas. Je deviendrais tellement contemplatif, que la réflexion ne fonctionnerait plus.

En effet, à quoi bon chercher la raison des choses quand elles vous procurent une extase plus douce que l’étude ? On risque la folie à vouloir perpétuer le ravissement. Maxime Du Camp, dans son roman des Forces perdues, — un titre très profond ! — raconte que deux âmes ivres de bonheur se sont épuisées et presque haïes sans autre motif que de s’être trop aimées. Peut-être, en se fixant au centre d’une oasis rêvée, deviendrait-on l’ennemi du beau trop senti et trop possédé, à moins que, sans retour et à tout jamais, on n’en devînt la victime. Pour habiter l’Éden, il faudrait donc devenir un être complètement paradisiaque. Adam en fut exilé,