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avec moi. Il est impossible que vous ne sachiez pas combien je vous aime, et je vous trouve cruelle de me traiter comme s’il s’agissait d’une de ces fantaisies qui naissent et meurent dans un jour. L’amour que j’ai pour vous est un sentiment de toute la vie ; et, si vous n’acceptez le vœu que je fais de vous consacrer la mienne, vous verrez, madame, qu’un homme du monde peut perdre tout respect des convenances et se soustraire à l’empire de la froide raison. Oh ! ne me réduisez pas au désespoir, ou craignez-en les effets.

— Vous voulez donc que je m’explique décidément ? répondit Lavinia. Eh bien, je vais le faire. Savez-vous mon histoire, monsieur ?

— Oui, madame, je sais tout ; je sais qu’un misérable, que je regarde comme le dernier des hommes, vous a indignement trompée et délaissée. La compassion que votre infortune m’inspire ajoute à mon enthousiasme. Il n’y a que les grandes âmes qui soient condamnées à être victimes des hommes et de l’opinion.

— Eh bien, monsieur, reprit Lavinia, sachez que j’ai su profiter des rudes leçons de ma destinée ; sachez qu’aujourd’hui je suis en garde contre mon propre cœur et contre celui d’autrui. Je sais qu’il n’est pas toujours au pouvoir de l’homme de tenir ses serments, et qu’il abuse aussitôt qu’il obtient. D’après cela, monsieur, n’espérez pas me fléchir. Si vous parlez sérieusement, voici ma réponse : Je suis invulnérable. Cette femme tant décriée pour l’erreur de sa jeunesse est entourée désormais d’un rempart plus solide que la vertu : la méfiance.

— Ah ! c’est que vous ne m’entendez pas, madame, s’écria le comte en se jetant à ses genoux. Que je sois maudit si j’ai jamais eu la pensée de m’autoriser de vos malheurs pour espérer des sacrifices que votre fierté condamne…