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la dernière faculté des cœurs usés. Il essayait, par toutes les insinuations possibles, d’animer l’entretien, en amenant Lavinia à lui parler de la situation réelle de son cœur ; mais ses efforts étaient vains : la femme était plus mobile et plus adroite que lui. Dès qu’il croyait avoir touché une corde de son âme, il ne lui restait plus dans la main qu’un cheveu. Dès qu’il espérait saisir l’être moral et l’étreindre pour l’analyser, le fantôme glissait comme un souffle et s’enfuyait insaisissable comme l’air.

Tout à coup on frappa avec force : car le bruit du torrent, qui couvrait tout, avait empêché d’entendre les premiers coups ; et maintenant on les réitérait avec impatience. Lady Lavinia tressaillit.

— C’est Henry qui vient m’avertir, lui dit sir Lionel ; mais, si vous daignez m’accorder encore quelques instants, je vais lui dire d’attendre. Obtiendrai-je cette grâce, madame ?

Lionel se préparait à l’implorer obstinément, lorsque Pepa entra d’un air empressé.

— M. le comte de Morangy veut entrer à toute force, dit-elle en portugais à sa maîtresse. Il est là… il n’écoute rien…

— Ah ! mon Dieu ! s’écria ingénument Lavinia en anglais ; il est si jaloux ! Que vais-je faire de vous, Lionel ?

Lionel resta comme frappé de la foudre.

— Faites-le entrer, dit vivement Lavinia à la négresse. Et vous, dit-elle à sir Lionel, passez sur ce balcon. Il fait un temps magnifique ; vous pouvez bien attendre là cinq minutes pour me rendre service.

Et elle le poussa vivement sur le balcon. Puis elle fit retomber le rideau de basin, et, s’adressant au comte qui entrait :

— Que signifie le bruit que vous faites ? lui dit-elle avec aisance. C’est une véritable invasion.