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arrive cent fois par jour d’être, grâce à lui, en pleine contradiction avec nous-mêmes. Par le fait, sir Lionel était charmé de savoir lady Lavinia placée, par de nouvelles affections, dans une situation qui assurait leur indépendance mutuelle. Et pourtant la publicité des triomphes qui pouvaient faire oublier le passé à cette femme délaissée fut pour Lionel une espèce d’affront qu’il dévora avec peine.

Henry, qui connaissait les lieux, le conduisit au bout du village, à la maison qu’habitait sa cousine. Là, il le laissa.

Cette maison était un peu isolée des autres ; elle s’adossait, d’un côté, à la montagne, et, de l’autre, elle dominait le ravin. À trois pas, un torrent tombait à grand bruit dans la cannelure du rocher ; et la maison, inondée, pour ainsi dire, de ce bruit frais et sauvage, semblait ébranlée par la chute d’eau et prête à s’élancer avec elle dans l’abîme. C’était une des situations les plus pittoresques que l’on put choisir, et Lionel reconnut dans cette circonstance l’esprit romanesque et un peu bizarre de lady Lavinia.

Une vieille négresse vint ouvrir la porte d’un petit salon au rez-de-chaussée. À peine la lumière vint à frapper son visage luisant et calleux, que Lionel laissa échapper une exclamation de surprise. C’était Pepa, la vieille nourrice de Lavinia, celle que, pendant deux ans, Lionel avait vue auprès de sa bien-aimée. Comme il n’était en garde contre aucune espèce d’émotion, la vue inattendue de cette vieille, en réveillant en lui la mémoire du passé, bouleversa un instant toutes ses idées. Il faillit lui sauter au cou, l’appeler nourrice, comme au temps de sa jeunesse et de sa gloire, l’embrasser comme une digne servante, comme une vieille amie ; mais Pepa recula de trois pas, en contemplant d’un air stupéfait