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nuyais. » Tenez, Lionel, si vous lui aviez entendu prononcer ces mots, avec l’expression de naïve tristesse qu’elle sait y mettre, vous auriez des remords, je le parierais.

— Eh ! n’en ai-je pas eu ! s’écria Lionel. Voilà ce qui nous dégoûte encore d’une femme : c’est tout ce que nous souffrons pour elle après l’avoir quittée ; ce sont ces mille vexations dont son souvenir nous poursuit ; c’est la voix du monde bourgeois qui crie vengeance et anathème, c’est la conscience qui se trouble et s’effraye ; ce sont de légers reproches bien doux et bien cruels que la pauvre délaissée nous adresse par les cent voix de la renommée. Tenez, Henry, je ne connais rien de plus ennuyeux et de plus triste que le métier d’homme à bonnes fortunes.

— À qui le dites-vous ! répondit Henry d’un ton vaillant, en faisant ce geste de fatuité ironique qui lui allait si bien.

Mais son compagnon ne daigna pas sourire, et il continua à marcher lentement, en laissant flotter les rênes sur le cou de son cheval, et en promenant son regard fatigué sur les délicieux tableaux que la vallée déroulait à ses pieds.

Luz est une petite ville située à environ un mille de Saint-Sauveur. Nos dandys s’y arrêtèrent ; rien ne put déterminer Lionel à pousser jusqu’au lieu qu’habitait lady Lavinia : il s’installa dans une auberge et se jeta sur son lit en attendant l’heure fixée pour le rendez-vous.

Quoique le climat soit infiniment moins chaud dans cette vallée que dans celle de Bigorre, la journée fut lourde et brûlante. Sir Lionel, étendu sur un mauvais lit d’auberge, ressentit quelques mouvements fébriles, et s’endormit péniblement au bourdonnement des insectes