Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/65

Cette page n’a pas encore été corrigée

moi ; car, lorsque je lui parlai de vous, lorsque je lui demandai si le cœur ne lui battait pas quelquefois, sur le chemin de Saint-Sauveur à Bagnères, à l’approche d’un groupe de cavaliers au nombre desquels vous pouviez être, elle me répondit d’un air nonchalant : a Vraiment ! peut-être que mon cœur battrait si je venais à le rencontrer. » Et le dernier mot de sa phrase fut délicieusement modulé par un bâillement. Oui, ne mordez pas votre lèvre, Lionel, un de ces jolis bâillements de femme tout petits, tout frais ; si harmonieux, qu’ils semblent polis et caressants, si longs et si traînants, qu’ils expriment la plus profonde apathie et la plus cordiale indifférence. Mais vous, au lieu de profiter de cette bonne disposition, vous ne pouvez pas résister à l’envie de faire des phrases. Fidèle à l’éternel pathos des amants disgraciés, quoique enchanté de l’être, vous semblez pleurer l’impossibilité de la voir, au lieu de lui dire naïvement que vous en étiez le plus reconnaissant du monde…

— De telles impertinences ne peuvent se commettre. Comment aurais-je prévu qu’elle allait prendre au sérieux quelques paroles oiseuses arrachées par la convenance de la situation ?

— Oh ! je connais Lavinia ; c’est une malice de sa façon !

— Éternelle malice de femme ! Mais non ; Lavinia était la plus douce et la moins railleuse de toutes ; je suis sûr qu’elle n’a pas plus envie que moi de cette entrevue. Tenez, mon cher Henry, sauvez-nous tous deux de ce supplice ; prenez le paquet, allez à Saint-Sauveur ; chargez-vous de tout arranger ; faites-lui comprendre que je ne dois pas…

— Quitter miss Ellis à la veille de votre mariage, n’est-ce pas ? Voilà une bonne raison à donner à une rivale ! Impossible, mon cher ; vous avez fait la folie, il