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je frissonnai en touchant le satin de son habit, en respirant le parfum de ses cheveux. Ma tête s’égara. Tout ce que j’ignorais, tout ce que je croyais être incapable de ressentir se révéla à moi ; mais ce fut trop violent… je m’évanouis…

» Il me rappela à moi-même par de prompts secours. Je le trouvai à mes pieds, plus timide, plus ému que jamais.

» — Ayez pitié de moi, me dit-il ; tuez-moi, chassez-moi.

» Il était plus pâle et plus mourant que moi.

» Mais toutes ces révolutions nerveuses que j’avais éprouvées dans le cours d’une si orageuse journée me faisaient rapidement passer d’une disposition à une autre. Ce rapide éclair d’une nouvelle existence avait pâli ; mon sang était redevenu calme, les délicatesses du véritable amour reprirent le dessus.

» — Écoutez-moi, Lélio, lui dis-je ; ce n’est point le mépris qui m’arrache à vos transports. Il se peut faire que j’aie toutes les susceptibilités qu’on nous inculque dès l’enfance, et qui deviennent pour nous comme une seconde nature ; mais ce n’est pas ici que je pourrais m’en souvenir, puisque ma nature elle-même vient d’être transformée en une autre qui m’était inconnue. Si vous m’aimez, aidez-moi à vous résister. Laissez-moi emporter d’ici la satisfaction délicieuse de ne vous avoir aimé qu’avec le cœur. Peut-être, si je n’avais appartenu à personne, me donnerais-je à vous avec joie ; mais sachez que Larrieux m’a profanée ; sachez qu’entraînée par l’horrible nécessité de faire comme tout le monde, j’ai subi les caresses d’un homme que je n’ai jamais aimé ; sachez que le dégoût que j’en ai ressenti a éteint chez moi l’imagination au point que je vous haïrais peut-être à présent, si j’avais succombé tout à l’heure. Ah ! ne faisons point ce terrible essai ! restez pur dans