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aimé ! En voyant des rides prématurées à son beau front, de la langueur à son sourire, de la pâleur à ses lèvres, j’étais attendrie ; j’avais besoin de pleurer sur les chagrins, les dégoûts et les travaux de sa vie ; je m’identifiais à toutes ses peines, même à celles de son long amour sans espoir pour moi ; et je n’avais plus qu’une volonté, celle de réparer le mal qu’il avait souffert.

» — Mon cher Lélio, mon grand Rodrigue, mon beau don Juan ! lui disais-je dans mon égarement.

» Ses regards me brûlaient. Il me parla ; il me raconta toutes les phases, tous les progrès de son amour ; il me dit comment, d’un histrion aux mœurs relâchées, j’avais fait de lui un homme ardent et vivace, comment je l’avais élevé à ses propres yeux, comment je lui avais rendu le courage et les illusions de la jeunesse ; il me dit son respect, sa vénération pour moi, son mépris pour les sottes forfanteries de l’amour à la mode ; il me dit qu’il donnerait tous les jours qui lui restaient à vivre pour une heure passée dans mes bras, mais qu’il sacrifierait cette heure-là et tous les jours à la crainte de m’offenser. Jamais éloquence plus pénétrante n’entraîna le cœur d’une femme ; jamais le tendre Racine ne fit parler l’amour avec cette conviction, cette poésie et cette force. Tout ce que la passion peut inspirer de délicat et de grave, de suave et d’impétueux, ses paroles, sa voix, ses yeux, ses caresses et sa soumission me l’apprirent. Hélas ! s’abusait-il lui-même ? jouait-il la comédie ?

— Je ne le crois certainement pas, m’écriai-je en regardant la marquise.

Elle semblait rajeunir en parlant, et dépouiller ses cent ans comme la fée Urgèle. Je ne sais qui a dit que le cœur d’une femme n’a point de rides.

— Écoutez la fin, me dit-elle. Égarée, perdue par tout ce qu’il me disait, je jetai mes deux bras autour de lui.