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» — Allons, ingénue, donne-moi mon mantelet et mon manchon.

» À minuit, j’étais à la maison de la rue de Valois. J’étais soigneusement voilée. Une espèce de valet de chambre vint me recevoir ; c’était le seul hôte visible de cette mystérieuse demeure. Il me conduisit à travers les détours d’un sombre jardin jusqu’à un pavillon enseveli dans l’ombre et le silence. Après avoir déposé dans le vestibule sa lanterne de soie verte, il m’ouvrit la porte d’un appartement obscur et profond, me montra d’un geste respectueux et d’un air impassible le rayon de lumière qui arrivait du fond de l’enfilade, et me dit à voix basse, comme s’il eût craint d’éveiller les échos endormis :

» — Madame est seule, personne n’est encore arrivé. Madame trouvera dans le salon d’été une sonnette à laquelle je répondrai si elle a besoin de quelque chose.

» Et il disparut comme par enchantement, en refermant la porte sur moi.

» Il me prit une peur horrible ; je craignis d’être tombée dans un guet-apens. Je le rappelai ; il parut aussitôt ; son air solennellement bête me rassura. Je lui demandai quelle heure il était ; je le savais fort bien : j’avais fait sonner plus de dix fois ma montre dans la voiture.

» — Il est minuit, répondit-il sans lever les yeux sur moi.

» Je vis que c’était un homme parfaitement instruit des devoirs de sa charge. Je me décidai à entrer dans le salon d’été, et je me convainquis de l’injustice de mes craintes en voyant toutes les portes qui donnaient sur le jardin fermées seulement par des portières de soie peinte à l’orientale. Rien n’était délicieux comme ce boudoir, qui n’était, à vrai dire, qu’un salon de musique le plus honnête du monde. Les murs étaient de stuc blanc comme la neige ; les cadres des glaces en ar-