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comme dans le cauchemar. Enfin je rassemble toute ma volonté, je l’appelle au secours de mes membres accablés. Je m’élance sur le parquet ; j’entr’ouvre mes rideaux ; je vois briller la lune sur les arbres de mon jardin ; je cours à la pendule, elle marque dix heures. Je saute sur ma femme de chambre, je la secoue, je l’éveille en sursaut :

» — Quinette, quel jour sommes-nous ?

» Elle quitte sa chaise en criant et veut fuir, car elle me croit dans le délire ; je la retiens, je la rassure ; j’apprends que j’ai dormi trois heures seulement. Je remercie Dieu. Je demande un fiacre ; Quinette me regarde avec stupeur. Enfin elle se convainc que j’ai toute ma tête, elle transmet mon ordre et s’apprête à m’habiller.

» Je me fis donner le plus simple et le plus chaste de mes habits ; je ne plaçai dans mes cheveux aucun ornement ; je refusai de mettre du rouge. Je voulais avant tout inspirer à Lélio l’estime et le respect, qui m’étaient plus précieux que son amour. Cependant j’eus un sentiment de plaisir lorsque Quinette, étonnée de tout ce qui me passait par l’esprit, me dit, en me regardant de la tête aux pieds :

» — En vérité, madame, je ne sais pas comment vous faites ; vous n’avez qu’une simple robe blanche sans queue et sans panier ; vous êtes malade et pâle comme la mort ; vous n’avez pas seulement voulu mettre une mouche : eh bien, je veux mourir si je vous ai jamais vue aussi belle que ce soir. Je plains les hommes qui vous regarderont !

» — Tu me crois donc bien sage, ma pauvre Quinette ?

» — Hélas ! madame la marquise, je demande tous les jours au ciel de le devenir comme vous ; mais, jusqu’ici…