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voix calme. Avant que ce noble bâtiment soit brisé tout entier, il se passera encore une heure. Une heure ! entendez-vous, Jenny ? c’est tout ce qui nous reste.

— Mais je ne dois pas rester ici, dit Jenny, dont l’effroi changeait de nature ; que pensera-t-on ?…

— Personne n’est en état de s’occuper de vous en ce moment, Jenny, pas même votre père. Moi seul, je me rappelle que j’ai ici deux vies à perdre. Écoutez-moi, Jenny. Si nous étions à cette heure libres tous deux, devant un prêtre, me donneriez-vous votre main ?

— Ma main, mon cœur, tout ! répondit-elle.

— Eh bien, il n’y a point ici de prêtre ; mais nous sommes devant Dieu. Il m’est témoin que je vous aime de toutes les forces d’une âme humaine. N’est-ce point là un serment solennel et sacré ?

— Il me suffit pour mourir heureuse, dit Jenny en jetant ses bras autour du cou du marin.

— Eh bien, lui dit-il avec un transport qui ressemblait à de la rage, sois donc à moi sur la terre ; car qui sait si comme toi j’ai mérité le ciel ? Tu ne voudrais pas te séparer à jamais de moi sans être ma femme, Jenny ! Quand la Providence me refuse un jour de vie, tu ne voudrais pas te faire sa complice ? Viens ! dans cet instant suprême, tu es plus que le Dieu qui me frappe ; tu lui disputes sa proie, tu annules l’effet de sa colère. Viens et ne crains pas la mort, car je ne regretterai pas la vie.

Il était à ses genoux, il couvrait son sein de larmes brûlantes.

— Oh ! Melchior, dit Jenny éperdue, écoutez le craquement du navire : n’irritons pas le ciel dans ce moment.

— Le ciel ! c’est toi, dit Melchior ; est-ce qu’il y a un autre Dieu que toi, ma Jenny ? Ne me repousse donc