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un cœur d’homme au-dessus de ces faiblesses-là. Je vous ai dédaignée, Jenny ; vous devriez vous le rappeler, et ne pas me le pardonner ainsi… Non, Jenny, il ne faut pas me le pardonner…

L’infortuné éludait le motif, le terrible motif de sa résistance. Jenny se plaisait toujours à l’espoir de la vaincre.

— Je sais tout, lui disait-elle ; vous étiez un grand enfant ; vous ne saviez rien de toutes ces choses que l’éducation m’avait apprises. Oh ! moi, je vous avais rêvé depuis longtemps. J’étais de beaucoup moins grande que je ne suis maintenant, et déjà je vous demandais à l’avenir. J’étais si seule, si mélancolique !

» Si vous saviez dans quels ennuis, dans quelles douleurs j’ai vécu ! et puis dans quel isolement affreux je me suis trouvée après que tous mes frères eurent disparu tour à tour ! Comme le désespoir de mon père me navrait, comme ses larmes retombaient sur mon cœur !

» Alors je sentis le besoin d’avoir un appui, un frère qui m’aidât à le consoler ; mais nul de ceux qui s’approchèrent ne répondit à mon attente. Ils ne voyaient en moi, ces hommes à l’âme étroite, que l’héritière du nabab. Aucun ne se mit en peine de comprendre Jenny. Alors, mon ami, je priais chaque soir mon ange gardien de t’amener vers moi. J’appelais un cœur noble, ingénu comme le tien, un cœur où n’eussent pas régné d’autres femmes, et qui m’apportât en dot les mêmes trésors d’amour que je lui gardais.

» Oh ! quand j’ai entendu prononcer ton nom pour la première fois, j’ai tressailli ! comme si cela me rappelait quelque chose.

» Vois-tu, Melchior, j’ai un peu des superstitions du pays où je suis née. Il me semble que nous vivons plus d’une vie sur cette terre, et peut-être que, sous une