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tion ne saurait plier sa conviction aux mêmes volontés qui régissent les continents.

La mer est une contrée de refuge ; elle a ses immuables franchises, ses droits d’asile, ses solennels pardons. Là meurt l’empire des lois, si le faible parvient à devenir fort ; là, l’esclavage peut se rire du joug brisé et demander aux éléments protection contre les hommes.

Pour celui qui, comme Melchior, ne peut plus établir son bonheur dans la société, c’est une redoutable tentation que six mois arrachés sur les flots à l’inflexibilité des lois humaines.


III

Hélas ! c’est quelquefois un rêve bien bizarre qu’une traversée maritime ! Là, tout se confond, tout s’oublie ; là deviennent possibles les intimités proscrites sur le sol habité.

Il ne faut pas croire qu’il n’y ait d’étrange dans cette vie que le nom barbare des planches et des cordes, les mœurs brutales ou les sonores jurements des matelots ; la littérature nautique a faussé sa vocation et méconnu sa richesse, quand elle s’est bornée à ces stériles détails statistiques ; elle ne nous a pas assez dit l’influence de la situation sur le cœur humain, lorsqu’il se trouve ainsi poussé en dehors de la vie commune, et que son existence sociale est, pour ainsi dire, suspendue.

Une semblable transition dans ses mœurs peut le bouleverser et lui ouvrir une carrière d’espérances chimériques. Songe heureux bercé par les flots hospitaliers, mais que la moindre secousse d’un atterrissement doit faire évanouir !