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que l’habitude de lire et de méditer lui avait ouvert un cercle d’idées plus élevées que celles de cet homme nativement bon et brave, mais auquel il manquait de savoir la raison de ses qualités. Elle le voyait au travers de son ancien enthousiasme pour la chimère de l’avenir, et le plaçait bien haut pour s’épargner un mécompte.

Enfin elle se reprochait comme autant de défauts toutes les qualités que Melchior n’avait pas, ne devinant même pas que l’amour qu’elle éprouvait et celui qu’il n’éprouvait pas faisaient d’elle une femme complète et de lui un homme incomplet.

Tandis qu’elle souffrait de l’alternative d’espoir et de découragement où la jetait chacun de ces entretiens avec Melchior, tandis qu’incertaine et déchirée elle luttait tantôt contre l’indifférence de son amant, tantôt contre son propre amour, James Lockrist, dont l’intelligence de nabab se refusait à saisir toutes les subtilités de l’amour chez une jeune fille, lui faisait subir une sorte de persécution pour qu’elle eût à se prononcer.

Son rôle à lui devenait de plus en plus difficile dans tous ces mystères de cœur, auxquels il n’entendait rien. Il avait vu d’abord cette intimité avec plaisir ; mais, lorsqu’au bout de trois mois il voulut en savoir le résultat, il fut étrangement surpris du ton de négligence mélancolique avec lequel Jenny lui répondit :

— Je ne sais pas.

L’équipage était alors en vue des côtes de Guinée.

Après de longues et vaines discussions, le nabab crut comprendre que Melchior était complètement dupe du puéril artifice inventé pour l’éprouver. James Lockrist n’alla point jusqu’à soupçonner que le cœur de son neveu pût être entièrement vide d’amour et d’ambition.

Mais Jenny, voyant son père déterminé à instruire