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une teinte douce et cendrée. Cette manière d’atténuer la crudité des tons de la chevelure donnait au visage beaucoup de douceur et aux yeux un éclat extraordinaire. Le front, entièrement découvert, se perdait dans les pâles nuances de ces cheveux de convention ; il en paraissait plus large, plus pur, et toutes les femmes avaient l’air noble. Aux crêpés, qui n’ont jamais été gracieux, à mon sens, avaient succédé les coiffures basses, les grosses boucles rejetées en arrière et tombant sur le cou et sur les épaules. Cette coiffure m’allait fort bien, et j’étais renommée pour la richesse et l’invention de mes parures. Je sortais tantôt avec une robe de velours nacarat garnie de grèbe, tantôt avec une tunique de satin blanc bordée de peau de tigre, quelquefois avec un habit complet de damas lilas lamé d’argent, et des plumes blanches montées en perles. C’est ainsi que j’allais faire quelques visites en attendant l’heure de la seconde pièce ; car Lélio ne jouait jamais dans la première.

» Je faisais sensation dans les salons, et, lorsque je remontais dans mon carrosse, je regardais avec complaisance la femme qui aimait Lélio, et qui pouvait s’en faire aimer. Jusque-là, le seul plaisir que j’eusse trouvé à être belle consistait dans la jalousie que j’inspirais. Le soin que je prenais à m’embellir était une bien bénigne vengeance envers ces femmes qui avaient ourdi de si horribles complots contre moi. Mais, du moment que j’aimai, je me mis à jouir de ma beauté pour moi-même. Je n’avais que cela à offrir à Lélio en compensation de tous les triomphes qu’on lui déniait à Paris, et je m’amusais à me représenter l’orgueil et la joie de ce pauvre comédien si moqué, si méconnu, si rebuté, le jour où il apprendrait que la marquise de R… lui avait voué son culte.