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tion du nabab, située à une trentaine de lieues au nord de Calcutta.

L’éléphant qui les portait franchit cette distance en une seule journée.

Durant la route, M. Lockrist fit à son neveu un si prolixe éloge de ses propriétés, il entra dans des détails d’affaires si fastidieuses et si monotones, que le jeune marin eut bien de la peine à se tenir éveillé à ses côtés. Mais un trésor dont James était encore plus vain, c’était sa fille Jenny, et ce ne fut pas sans peine qu’il parvint à se taire sur son compte. Ainsi l’avait exigé la jeune Indienne.

Informée des projets de son père, elle voulait que Melchior les ignorât jusqu’au jour où elle le connaîtrait assez pour le juger digne de sa main. Malgré l’impatiente curiosité qui lui faisait désirer l’arrivée de son fiancé inconnu, malgré les rêves dont sa fraîche imagination poétisait l’avenir, une instinctive dignité de jeune femme lui prescrivait d’attendre, pour se promettre, qu’elle fût bien sûre de vouloir se donner.

Jenny s’ennuyait de la solitude ; mais la médecine, qui n’a que des remèdes systématiques, lui administrait le mariage comme elle conseille l’opium, sans tenir compte du discernement qu’exige une organisation délicate par rapport à l’un, une âme fière par rapport à l’autre.

La romanesque fille, remettant donc en pratique une feinte dans le goût de Marivaux (ignorante qu’elle était du commun et de l’invraisemblance de la chose), ne parut d’abord aux yeux de son cousin qu’à l’abri d’un petit rôle de gouvernante qu’elle se créa quatre jours d’avance, et dont tout homme tant soit peu littéraire n’eût pas été dupe pendant quatre heures.

Mais il se trouva que Melchior ne connaissait pas