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De ce moment, le nabab n’eut pas un instant de repos qu’il n’eût trouvé son cher, son précieux neveu.

Il écrivit dans toutes les îles, à Ceylan, à Java, à Céram et à Timor. Il s’enquit dans tous les ports de la presqu’île : à Barcelor, à Tucurin, à Paliacate, à Sicacola ; et enfin, un jour, un beau jour qu’on attendait sans l’espérer, le gouverneur, qui était fort lié avec M. Lockrist et qui lui avait promis de guetter tous les débarquements, lui écrivit que le lieutenant Melchior Lockrist venait d’aborder avec l’Inkle-et-Yariko dans le port de Calcutta.

Aussitôt le nabab monte dans sa litière, et, après avoir confié Jenny à sa nourrice, court à la rencontre de son neveu.

Melchior était un grand et robuste garçon, taillé sur un beau type armoricain, un vrai fils de la mer et des tempêtes, hardi de cœur, gauche de manières, superbe au vent de l’artimon, maladroit au rôle d’héritier présomptif, et ne sachant pas plus parler à une jeune miss qu’à un cheval de guerre.

Quand le gouverneur lui ouvrit les portes de son palais, le traita mieux qu’un capitaine de bâtiment, et lui parla d’un oncle riche et généreux qui l’attendait pour l’adopter, Melchior crut faire un rêve ; mais l’expression de sa surprise fut modérée par une forte habitude d’insouciance ; et le Ma foi, tant mieux ! dont il accueillit ces nouvelles merveilleuses, résuma toute la philosophie pratique d’une existence de marin.

Fidèle aux instructions que M. James lui avait données, le gouverneur laissa complètement ignorer à Melchior l’existence de Jenny. Il lui dit seulement que son oncle l’accueillait en qualité de célibataire, et sous la condition expresse qu’il n’essayerait jamais de se marier sans son consentement.