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ardeur à l’intérêt que la lettre du curé inspira au nabab pour son jeune parent.

Jenny, sa chère Jenny, son fragile et précaire enfant, ressentit les premières atteintes du mal qui n’avait épargné qu’elle, et qui semblait réclamer sa dernière victime. La médecine glissa dans l’oreille paternelle une parole qui eût fait rougir le chaste front de Jenny. Il fallait la marier sans trop de délais.

Cette ordonnance jeta d’abord M. Lockrist dans de grandes perplexités. Outre que sa fille avait encore à atteindre six mois l’âge nubile exigé par les lois françaises, il était difficile de lui trouver un mari qui consentît à partir aussitôt pour l’Europe, et à s’y fixer avec elle.

Il savait que de telles conditions sont toujours faciles à éluder après le mariage ; et il ne voyait autour de lui aucun homme dont la loyauté ou le désintéressement lui offrissent de suffisantes garanties.

Enfin, pour dernier obstacle, Jenny, élevée dans une solitude assez romanesque, montrait un invincible dégoût pour tous ces hommes si avides de s’enrichir. Elle prétendait n’accorder son cœur et sa main qu’à un amant digne d’elle, personnage utopique qu’elle avait rencontré dans les livres, et qui ne se trouvait nulle part sous un ciel où l’or semble être plus précieux aux Européens que la vie.

Alors M. Lockrist pensa naturellement à son neveu, ou plutôt Jenny l’y fit penser. Elle écouta avec émotion la lettre du curé breton, et, quand elle vit son père touché du portrait de Melchior, elle se jeta dans ses bras en lui disant :

— Je suis bien heureuse à présent ; car, si je meurs, tu ne seras pas seul sur la terre : mon cousin te restera.