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me connaître. Comment peut-on haïr une personne qu’on n’a jamais vue et qui ne vous a fait aucun mal ? Cette injustice aurait dû m’empêcher de prendre de l’attachement pour lui. Eh bien, c’est tout le contraire, et je commence à croire que l’amour est un chose tout à fait involontaire, une maladie de l’âme à laquelle tous nos raisonnements ne peuvent rien.

» J’ai été bien longtemps sans comprendre ce qui se passait en moi. J’avais tellement peur de M. Olivier, que je croyais parfois avoir aussi de l’éloignement pour lui. Je le trouvais froid et orgueilleux ; et cependant, lorsqu’il parlait à ma tante, il changeait tellement d’air et de langage, il lui rendait des soins si délicats, que je ne pouvais pas m’empêcher de le croire sensible et généreux.

» Une fois, je passais au bout de la galerie, je le vis à genoux auprès de ma tante ; elle l’embrassait, et tous deux semblaient pleurer. Je passai bien vite et sans qu’on m’aperçut ; mais je ne saurais me rendre l’émotion que cette scène touchante me causa. J’en fus agitée toute la nuit, et je me surpris plusieurs fois à désirer d’avoir l’âge de ma tante, afin d’être aimée comme une mère par celui qui ne voulait pas m’aimer comme une sœur.

» Je compris mes véritables sentiments à l’occasion du duel dont je vous ai parlé. Je ne vous ai pas nommé la personne qui me donnait le bras et qui se battit pour moi ; je vous ai dit que c’était un ami de la maison : c’était M. Olivier. Lorsqu’il revint, il était fort pâle, et tenait sa main sous sa redingote ; ma tante se douta de la vérité et le força de nous la montrer. Je ne sais si cette main était ensanglantée. Il me sembla voir du sang sur le linge qui l’enveloppait, et je sentis le mien se retirer vers mon cœur. Je m’évanouis, ce qui fut bien imprudent et bien malheureux, mais je crois qu’on ne se douta de rien. Quand je revis M. Olivier, je ne pus