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comme ferait un homme qui s’éveillerait avec un serpent dans la main. Elle s’effrayait surtout de ce qui se passait en elle ; elle croyait sentir des mouvements de haine contre cette orpheline qu’elle devait, qu’elle voulait aimer et protéger.

— Mon Dieu, mon Dieu ! s’écriait-elle, vais-je devenir jalouse ? Est-ce qu’il va falloir que je ressemble à ces femmes que la vieillesse rend cruelles, et qui se font une joie infâme de tourmenter leurs rivales ? Est-ce une horrible conséquence de mes années que de haïr ce qui me porte ombrage ? Haïr Sarah ! la fille de mon frère ! cette orpheline qui tout à l’heure pleurait dans mon sein !… Oh ! cela est affreux, et je suis un monstre !… Mais non, ajoutait-elle, je ne suis pas ainsi ; je ne peux pas haïr cette pauvre enfant ; je ne peux pas lui faire un crime d’être belle ! Je ne suis pas née méchante, je sens que ma conscience est toujours jeune, mon cœur toujours bon, je l’aimerai ; je souffrirai quelquefois peut-être, mais je surmonterai cette folie…

Mais l’idée d’Olivier amoureux de Sarah revenait toujours l’épouvanter, et ses efforts pour affronter une pareille crainte étaient infructueux. Elle en était glacée, atterrée, et Sarah, en s’éveillant, trouvait souvent une expression si sombre et si sévère sur le visage de sa tante, qu’elle n’osait la regarder, et feignait de se rendormir pour cacher le malaise qu’elle en éprouvait.

Le voyage se passa ainsi, sans que lady Mowbray pût sortir de cette anxiété cruelle. Olivier ne lui avait jamais donné le moindre sujet d’inquiétude ; il ne se plaisait nulle part loin d’elle, et elle savait bien qu’aucune femme n’avait jamais eu le pouvoir de le lui enlever ; mais Sarah allait vivre près d’eux, entre eux deux, pour ainsi dire ; il la verrait tous les jours ; et, lors même qu’il ne lui parlerait jamais, il aurait toujours devant