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car il n’est guère de véritables revers pour eux. Abul-Amet et Timothée restèrent associés d’affaires et amis de cœur toute leur vie. Mattea vécut toujours à Venise, dans son magasin, entre son père, dont elle ferma les yeux, et ses enfants, pour lesquels elle fut une tendre mère, disant sans cesse qu’elle voulait réparer envers eux les torts qu’elle avait eus envers la sienne. Timothée alla tous les ans à Scio, et Abul revint quelquefois à Venise. Chaque fois que Mattea le revit après une absence, elle éprouva une émotion dont son mari eut très-grand soin de ne jamais s’apercevoir. Abul ne s’en apercevait réellement pas, et, lui baisant la main à l’italienne, il lui disait la seule parole qu’il eût pu jamais apprendre : Votre ami.

Quant à Mattea, elle parlait à merveille les langues modernes de l’Orient, et dans la conduite de ses affaires elle était presque aussi entendue que son mari. Plusieurs personnes, à Venise, se souviennent de l’avoir vue. Elle était devenue un peu forte de complexion pour une femme, et le soleil d’Orient l’avait bronzée, de sorte que sa beauté avait pris un caractère un peu viril. Soit à cause de cela, soit à cause de l’habitude qu’elle en avait contractée dans la vie de commis qu’elle avait menée à Scio, et qu’elle menait encore à Venise, elle garda toujours son élégant costume sciote, qui lui allait à merveille, et qui la faisait prendre pour un jeune homme par tous les étrangers. Dans ces occasions, Veneranda, quoique décrépite, se redressait encore, et triomphait d’avoir un si beau sigisbé au bras. La princesse laissa une partie de ses biens à cet heureux couple, à la charge de la faire ensevelir dans une robe de drap d’or et de prendre soin de son petit chien.