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La mosquée de Venise est un bâtiment sans beauté, mais non sans caractère, flanqué et comme surchargé de petites constructions qui, par leur entassement et leur irrégularité au milieu de la plus belle ville du monde, présentent le spectacle de la barbarie ottomane, inerte au milieu de l’art européen. Ce pâté de temples et de fabriques grossières est appelé à Venise il Fondaco dei Turchi. Les maisonnettes étaient toutes habitées par des Turcs ; le comptoir de leur compagnie de commerce y était établi, et lorsque Phingari, la lune, brillait dans le ciel, ils passaient les longues heures de la nuit prosternés dans la mosquée silencieuse.

À l’angle formé par le grand et le petit canal qui baignent ces constructions, une d’elles, qui n’est pour ainsi dire que la coque d’une chambre isolée, s’avance sur les eaux à la hauteur de quelques toises. Un petit prolongement y forme une jolie terrasse ; je dis jolie à cause d’une tente de toile bleue et de quelques beaux lauriers-roses qui la décorent. Dans une pareille situation, au sein même de Venise, et par le clair de lune, il n’en faut pas davantage pour former une retraite délicieuse. C’est là qu’Abul-Amet demeurait. Mattea le savait pour l’avoir vu souvent fumer au déclin du jour, accroupi sur un tapis au milieu de ses lauriers-roses ; d’ailleurs, chaque fois que son père passait avec elle en gondole devant le Fondaco, il lui avait montré cette baraque, dont la position était assez remarquable, en lui disant :

— Voici la maison de notre ami Abul, le plus honnête de tous les négociants.

On abordait à cette prétendue maison par une marche au-dessus de laquelle une niche pratiquée dans la muraille protégeait une lampe, et, derrière cette lampe, il y avait et il y a encore une madone de pierre qui est bien littéralement flanquée dans le ventre de la mosquée