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— Non, mon père, dit Mattea d’un ton respectueux, mais ferme.

— Oh ! par le corps de la Madone, s’écria Zacomo, est-il possible que tu penses vraiment à ce Turc ? Espères-tu l’épouser ? Et le salut de ton âme ! crois-tu qu’un prêtre t’admettrait à la communion catholique après un mariage turc ? Et ta liberté ! ne sais-tu pas que tu seras enfermée dans un harem ? Et ta fierté ! tu auras quinze ou vingt rivales. Et ta dot ! tu n’en profiteras pas, tu seras esclave. Et tes pauvres parents ! les quitteras-tu pour aller demeurer au fond de l’Archipel ? Et ton pays, et tes amis, et Dieu, et ton vieux père !

Ici, M. Spada s’attendrit, sa fille s’approcha et lui baisa la main ; mais, faisant un grand effort pour ne pas s’attendrir elle-même :

— Mon père, dit-elle, je suis ici captive, opprimée, esclave, autant qu’on peut l’être dans le pays le plus barbare. Je ne me plains pas de vous, vous avez toujours été doux pour moi ; mais vous ne pouvez pas me défendre. J’irai en Turquie, je ne serai la femme ni la maîtresse d’un homme qui aura vingt femmes ; je serai sa servante ou son amie, comme il voudra. Si je suis son amie, il m’épousera et renverra ses vingt femmes ; si je suis sa servante, il me nourrira et ne me battra pas.

— Te battre, te battre ? Par le Christ ! on ne te bat pas ici.

Mattea ne répondit rien ; mais son silence eut une éloquence qui paralysa son père. Ils furent tous deux muets pendant quelques instants, l’un plaidant sans vouloir parler, l’autre lui donnant gain de cause sans oser l’avouer.

— Je conviens que tu as eu quelques chagrins, dit-il enfin ; mais écoute ; ta marraine va t’emmener à la cam-